19 Juil2017
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L’USAGE DU CREDIT DE LA SOCIETE… Attention à l’abus de bien social

La moralisation de la vie publique est à l’ordre du jour. La moralisation de la vie des affaires quant à elle s’appuie depuis de nombreuses années sur un ensemble de leviers juridiques sanctionnant les comportements déloyaux, l’enrichissement personnel au détriment de l’entreprise, les comportements déviant vis-à-vis de subordonnés…

C’est dire que le droit des affaires n’a pas attendu l’émergence de ce nouvel état d’esprit pour tenter de référer les comportements déviant de ses différents acteurs, qu’ils soient personne physique ou société personne morale. Outre les conséquences financières qui pourront frapper les contrevenants chefs d’entreprise ou dirigeants, les risques de privation de liberté ne doivent plus être minimisés.

Parmi l’arsenal judiciaire mis en place par le Législateur, l’abus de bien social se doit d’être revisité au gré de l’évolution des mentalités judiciaires.

L’abus de bien social est une infraction ancienne apparue avec les Décrets Loi du 8 août et du 30 octobre 1935. Longtemps restée discrète, cette infraction est apparue au grand jour soit en raison des liens qu’elle présentait avec des faits de corruption concernant le monde politique, soit en raison de l’importance des détournements et de l’image emblématique de la société. Du fait d’une large médiatisation, l’abus de biens sociaux est devenu l’infraction phare du droit des sociétés et de la vie des affaires. Elle continue de cristalliser les griefs sur la pénalisation de la vie économique et doit, au regard de ce qui est indiqué plus haut, alimenter les craintes des chefs d’entreprise et dirigeants sociaux.

1. L’abus de bien social : définition

L’abus de bien social est sanctionné par les articles 241-3 et 242-6 du Code de Commerce. Il consiste dans le fait pour un dirigeant de faire de mauvaise foi des biens et du crédit de la société un usage qu’il sait contraire aux intérêts de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il est intéressé directement ou indirectement. Il est sanctionné d’une peine de 5 ans d’emprisonnement et de 375.000 € d’amende, auxquels s’ajoute potentiellement une peine complémentaire d’interdiction des droits civils voire une aggravation des peines en cas d’infractions facilitées ou réalisées par un compte ouvert à l’étranger.

Si tout le monde a bien compris que l’appropriation de biens matériels ou incorporels appartenant à une société dans un but personnel constitue la définition classique de l’abus de bien social, l’usage du crédit de la société comme caractérisé par la réalisation d’opérations présentant un risque par la société, est beaucoup plus subtil et aussi plus sujet à débat notamment lors de la qualification des faits mais également de leur défense devant les juridictions correctionnelles.

2. À propos de l’usage du crédit portant atteinte à l’intérêt social

L’usage du crédit n’est pas spécifiquement défini. La définition est vague, donc dangereuse en termes d’analyse de risque. Le crédit c’est celui qui s’attache à l’établissement (la société) en raison de son capital, de la nature de ses affaires, de la bonne marche de l’entreprise. L’usage anormal du crédit d’une entreprise, c’est en fait exposer la personne morale à des paiements ou lui faire courir des risques qui, normalement, ne lui incombent pas. Et c’est sur ce point particulier que nous entendons attirer l’attention de nos lecteurs.

Pourront notamment être considérées comme rentrant dans la qualification d’abus de bien social, des opérations de crédit, des actes accessoires aux prêts comme des engagements de caution, aval, garantie, mise en circulation des faits de commerce devant être payés à une date d’échéance.

L’usage du crédit portant atteinte à l’intérêt social est également caractérisé par la dissimulation de recettes (fraude fiscale) autrement qualifié par les juridictions répressives de détournement de créances sociales, mais également le recours à des moyens illicites. La sanction fiscale ou sociale doublonne alors avec la sanction pénale.

La question de savoir si l’utilisation illicite des fonds sociaux en vue de développer l’activité sociale pouvait constituer un abus de biens sociaux, a donné lieu à des solutions affirmatives mais contrastées.

Ainsi, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation en des compositions différentes, a rendu sur des dossiers concernant des questions identiques, des solutions diamétralement opposées :

  • la Chambre Criminelle censure l’arrêt d’une Cour d’Appel qui a condamné les dirigeants d’une entreprise ayant remis une somme d’argent à un intermédiaire pour qu’il intervienne en faveur de sa société auprès du Ministère du Commerce extérieur en vue de faire minorer la dette de la société envers le Trésor.
    Il n’y a nul doute qu’il s’agissait d’une action favorable à la société mais ce faisant, la Cour de Cassation paraissait admettre que l’usage de fonds sociaux à des fins de corruption ou trafic d’influence, ne constituerait pas un abus de biens sociaux même si moralement cela pourrait paraître choquant, il n’en demeurait pas moins que la solution respectait les conditions légales de l’incrimination de l’abus de biens qui requière des fins personnelles chez le dirigeant abusif.
  • dans une composition différente, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation et notamment dans l’affaire ELF où des fonds sociaux avaient été utilisés à des fins de corruption, cette juridiction s’est contentée d’indiquer que les fonds prélevés de manière occulte ont appauvri la société et ont nécessairement été utilisés dans l’intérêt personnel des dirigeants.

La Doctrine conteste cette interprétation. En effet, selon elle, verser de l’argent à un tiers pour qu’il facilite une opération se trouvant en son pouvoir, ne répond pas à l’exigence de l’intérêt personnel que doit poursuivre le dirigeant…

3. Sur les effets de l’usage du crédit immédiat ou différé

L’abus de biens s’entend d’un usage immédiat du crédit et non d’une exposition à un risque futur et éventuel. En d’autres termes, le dirigeant incompétent ou imprévoyant doit-il supporter les foudres des juridictions répressives ? Savait-il au moment où il engageait le crédit de la société, qu’il allait en faire un usage contraire aux intérêts de cette dernière ?

L’acte préjudiciable à la société mais effectué par un dirigeant incompétent expose sans aucun doute celui-ci à une responsabilité civile mais ne constitue pas un délit pénal, mais la certitude n’est plus de mise.

Il appartiendra dès lors et au visa de cette fluctuation de la jurisprudence, de s’assurer lors de l’exécution d’un contrat ou de sa mise en œuvre, du risque que ce contrat fait courir à l’intérêt social.

C’est en effet au jour de la signature de ce contrat ou de sa mise en œuvre que se qualifiera l’acte pénal ou simple faute de gestion.

La moralisation est en route.

Pour le chef d’entreprise, la prudence est de mise.

Me Frédéric Rometti